«Mort-Terrain» de Biz – Bible urbaine

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«Mort-Terrain» de Biz

«Mort-Terrain» de Biz

Le Wendigo, cette bête maléfique à double tranchant

Publié le 19 mars 2014 par Éric Dumais

Crédit photo : Leméac Éditeur & Chafiik

Grand manitou de la langue française et habile manipulateur des mots, l’auteur et rappeur Biz, figure précieuse de la formation québécoise Loco Locass, a fait une incursion du côté des Amérindiens avec son roman Mort-Terrain, lequel présente un portrait-choc d’une ville assiégée par la compagnie minière à milliards Wendigo, qui se cache sous le sigle W.

Campé dans une ville fictive d’Abitibi, où sommeille un gisement qui pourrait rapporter 1,4 milliard de dollars à ce séraphin de John Smith et favoriser la création de 400 emplois, le troisième roman de Biz, paru chez Leméac Éditeur, est probablement son plus lucide à ce jour. La plume de l’auteur semble avoir été à cheval entre le roman naturaliste et de fiction, puisque son protagoniste, Julien Daigneault, vit en même temps que nous, lecteur témoin, le dépaysement hardcore qu’il subit dès son arrivée à Mort-Terrain. Mais commençons par le commencement.

Dix heures de route séparent Montréal de Mort-Terrain, où Julien a été appelé en renfort pour remplacer le docteur Comeau, qui se fait vieillissant. Son premier contact avec les Morterrons a lieu à peine la pancarte de bienvenue franchie, sur laquelle on peut lire, d’ailleurs, le drôle de slogan: «Misons notre avenir». Très rapidement, le jeune médecin, jusqu’alors sage de sa personne, va faire la tournée des bars avec Stéphane Bureau et sa bande de Ti-Nouche et Gros-Dave, et rencontrer la serviabilité humaine tout ce qu’elle a de plus rurale et sale: enfilade de grosses bières, sniffage de coke dans les toilettes crades des bars du coin, le nouveau doc est pour le moins chaleureusement accueilli à Mort-Terrain.

Voilà pour la partie «histoire». L’enjeu du roman, celui qui rampe à terre aussi subtilement et malicieusement que le Wendigo, cette créature maléfique qui hante les forêts et qui terrorise les Amérindien d’Amérique du Nord, est délicieusement représenté sous les traits d’une compagnie minière dirigée par un John Smith qui a des signes de piasses reflétés dans les yeux. Impossible de ne pas ravoir en tête l’inoubliable roman d’Émile Zola, Germinal, à la lecture de ce roman-fiction où l’arrivée d’un trou pour le forage aussi gros qu’un volcan va chambarder la vie d’une population entière. Mais n’oublions pas que la bonne fortune de M. Smith va redorer la vie des Morterrons, pour la plupart sur le chômage et sans argent pour leur hygiène personnelle.

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À travers cette histoire réaliste, où les corps s’empilent au rythme des nombreuses morts et disparitions, il est intéressant de suivre cette histoire d’un Montréalais qui débarque dans le trou du monde, déchiré entre l’accueil trash des Blancs et l’indépendance confortable des Amérindiens, respectueusement surnommés les sauvages. Le protagoniste de Biz, qui oscille entre la cordialité des Morterrons et le respect des Amérindiens, représentent bien l’être ambivalent qui n’a pas de parti pris pour une culture ou pour une autre. Mais comme dans toute bonne société moderne, la césure qui déchire une population en deux est bel et bien là, tout comme la dévastation d’un sol précieux pour le développement de l’économie locale. Alleluia.

Ce plus récent roman de Biz est brillant de lucidité et porteur d’un sens caché qui rend compte du talent de conteur de son auteur.

«Mort-Terrain» de Biz, paru chez Leméac Éditeur, 235 pages, 25,95 $.

*Notre critique de La chute de Spartelabibleurbaine.com/la-chute-de-sparte-un-roman-choc-signe-biz.

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