«La vie d'Adèle chapitres 1 & 2» d'Abdellatif Kechiche – Bible urbaine

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«La vie d’Adèle chapitres 1 & 2» d’Abdellatif Kechiche

«La vie d’Adèle chapitres 1 & 2» d’Abdellatif Kechiche

L'amour en demi-teintes

Publié le 9 octobre 2013 par Jim Chartrand

Crédit photo : Métropole Films

Toutes controverses mises de côté, voici enfin la chance de découvrir la plus récente Palme d'or du festival de Cannes, soit La vie d'Adèle chapitres 1 & 2, le nouveau bijou du cinéaste réputé Abdellatif Kechiche, lequel livre ici une nouvelle immersion sensorielle qui, cette fois-ci, observe avec minutie une relation amoureuse, de ses balbutiements jusqu'à ses derniers éclats.

Après plusieurs escales dans différents univers qui enrichissent ses observations sociales judicieuses, Abdellatif Kechiche renoue, une décennie plus tard, avec la vie adolescente. Avec une maturité évidente et une expertise bonifiée notamment au plan technique, le cinéaste se retrouve plus en possession de ses moyens que jamais. Sans l’état éparpillé et tapageur de son sublime L’esquive ou accusateur de son inévitable La graine et le mulet, il se retrouve ici face à un film calculé et étoffé de façon pratiquement maladive (l’attention apportée à la couleur bleue en est obsessionnelle par moments) quoique jamais oppressante. On se retrouve un cran derrière son beaucoup plus sombre et éprouvant Vénus noire.

La spontanéité semble avoir été évacuée, on se retrouve donc devant un objet lisse en apparence, mais rugueux en profondeur, brossant un portrait en montagne russe d’une âme adolescente perdue. L’homosexualité à l’avant-plan apporte la dimension singulière de cette romance typique, alors que l’histoire s’intéresse également aux hésitations et aux explorations de notre protagoniste, Adèle, qui se cherche en n’ayant pas toujours une compréhension adéquate de ses désirs et de ses pulsions. Son récit est celui de son émancipation de jeune fille à femme mature, évoluant avec volupté sous nos yeux curieux et désireux.

Adapté d’une bande dessinée, il est difficile pour ceux qui ne l’ont pas lue de déterminer ce qui a été changé, amélioré, transformé ou conservé. N’empêche, en dépit de la beauté et de la pureté du film, on ne peut pas parler dans ce cas-ci de révolution cinématographique. En dépit des bonnes intentions qu’on identifie rapidement, il ne s’agit pas ici d’un pas dans le cinéma queer. Il n’y a rien de neuf sous le soleil des coming-of-age homosexuel et on semble ici retrouver une histoire qu’on a déjà vu et entendue mille fois. Certes, l’assurance s’ajoute à l’expérience et on se trouve décidément avec l’une des versions les plus abouties qui abordent le sujet, mais au final il n’y a rien de nouveau dans ce récit de passion et de déchirures qui touchent, émeuvent et bouleversent à la fois.

Du coup, avec ce long-métrage très long comme Kechiche en a l’habitude, on se laisse emporter par ce courant de trois heures. Une longue durée qui n’a pourtant pas le temps d’irriter le spectateur. Rares sont les secondes qui semblent de trop et on se retrouve envoûté par la caméra du cinéaste qui, et comme c’est toujours le cas, trouve constamment le moyen de braquer son oeil sur les éléments nécessaires apportant ainsi réalisme, justesse et humour dans ses dialogues et performances.

À cela, on peut dire chapeau à toute la distribution. Si l’on peut fantasmer grandement à l’idée d’imaginer le rôle d’Emma interprété par une plus audacieuse Sara Forestier plutôt que la surutilisée Léa Seydoux, qui demeure tout de même frappante de justesse, c’est nécessairement la révélation Adèle Exarchopoulos qui brille le plus. Allumée, vivante et bordée de nuances, elle s’offre comme peu d’actrices en ont la force, l’aisance et le courage, alors qu’elle donne vie dans ce film à un personnage vrai qui évolue brillamment sous nos yeux.

Avec une poésie d’une richesse, d’une finesse et d’une subtilité infinies (et quelle finale!), Kechiche présente de loin l’un de ses films les plus aboutis, ce qui est certainement peu dire d’un cinéaste autant accompli. Si, après visionnement, l’histoire vous reste en tête bien longtemps, on ne peut que regretter, toutefois, l’aspect plus instinctif et surprenant de ses premiers essais. Du coup, si l’unanimité est de crier au génie, le film n’a pourtant pas réussi à surpasser l’état de choc qu’avait créé notre premier contact avec le cinéaste avec L’esquive, une oeuvre à la fois si près et si loin du parcours d’Adèle. Après tout, et le film semble en faire foi, qu’est-ce qui peut bien surclasser un premier amour?

«La vie d’Adèle chapitres 1 & 2» d’Abdellatif Kechiche prend l’affiche au Québec exceptionnellement en même temps qu’en France ce mercredi 9 octobre.

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