«Dans la maison» de François Ozon: le voyeurisme orgasmique – Bible urbaine

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«Dans la maison» de François Ozon: le voyeurisme orgasmique

«Dans la maison» de François Ozon: le voyeurisme orgasmique

Publié le 19 avril 2013 par Jim Chartrand

Il y a toujours eu une ambiguïté dans le cinéma de François Ozon, alors que l’intérêt de base finissait toujours par percuter un manque à quelque part, évitant ainsi l’ultime appréciation de ses œuvres somme toute intrigantes. Maintenant, on ne peut plus penser une telle chose puisque avec Dans la maison, le cinéaste nous arrive dans la forme la plus remarquable qu’il n’ait jamais pu nous offrir, livrant de loin le pilier majeur d’une filmographie que plus rien ne semble arrêter.

François Ozon est un vrai touche à tout. Il se la joue variation sur un même thème en multipliant ses explorations. Pourtant, rien ne l’a jamais arrêté, puisqu’il a toujours enchaîné significativement ses productions sans toutefois atteindre le rythme d’un Woody Allen, parce que la différence apparaît au titre qu’Ozon, lui, sait constamment se renouveler sans nécessairement se répéter (ne méprenez pas mon appréciation du comique à lunettes, toutefois). Du coup, trois ans après son admirable et ridiculement amusant Potiche, gardant au passage la présence de l’indomptable Fabrice Luchini, il retourne à ses premières amours après cet escale inattendue pour livrer ce qui pourrait bien être son film le plus fort en carrière.

Manipulation, obsession, passion et, mieux que tout, voyeurisme. Ozon revient vers le territoire du polar pour livrer une leçon d’écriture qui s’avère aussi follement instructive que palpitante, en nous coinçant dans le fantasme le plus inusité. On pensera certainement à La Piscine, mais de façon beaucoup plus complète et aboutie. Le fantasme ne sera pas seulement suggéré, il sera créé. Le long-métrage en soi est un fantasme dont le spectateur se voit prisonnier, tout comme ses personnages d’ailleurs, qui sont eux-même fantasmagoriques ou fantasmés, tout dépendant de la version de l’histoire dépeinte, mais qui tenteront de défendre les limites, tout comme les possibilités de cet univers singulier.

Du coup, dans une démystification maladive du vrai et du faux, le cinéaste s’embarque, tout en nous embarquant avec lui, dans un grand bateau maîtrisé de façon pointilleuse, incapable de pointer le réel, mais incapable de détourner le regard également. S’il n’y aura jamais d’ultime vérité, un seul questionnement nous trottera toujours en tête, à savoir le brillant: que va-t-il se passer?, et ce, avec l’espoir que cela ne se terminera jamais.

L’histoire profite ainsi d’une double temporalité sans nécessairement donner dans le principe sur-utilisé de la mise en abyme. Non, il s’agit plutôt de construire un récit existant, quoique romancé (ou l’est-ce vraiment?) dans une autre histoire, tout en offrant constamment une leçon aux personnages comme aux spectateurs.

Que ce soit le destin de Germain, professeur de littérature blasé, Jeanne, sa femme incomprise, Claude, l’imprévisible jeune homme, ou même Esther, la mystérieuse mère au foyer, pour ne nommer que ceux-là, tous sont interprétés avec fougue, nuance et dévotion par une distribution de premier ordre. On ne fait que plonger dans cette mer de différents désirs et de nombreux dangers. Après tout, comment résister à Kristin Scott Thomas, Emmanuelle Seigner ou le très prometteur et hypnotisant Ernst Umhauer, qui tournoient dans ce tourbillon nommé plaisir, alors qu’on raconte les répercussions inattendues d’un simple devoir de français évolutif cherchant à pousser les capacités littéraires d’un jeune homme au talent évident qui s’inspire d’un quotidien sélectif pour nourrir son imagination et, du coup, celle des gens étant intéressés par une telle histoire.

Véritable labyrinthe des avancées dramatiques, le film pousse toujours plus loin sa chance sans jamais faire dos à l’audace. On ajoute à cette critique des classes sociales un regard acerbe mais plus souvent humoristique sur l’éducation, la culture, le choc des générations, le principe de la loi des cycles, du mentorat et on en passe. Écrit avec une finesse remarquable, voilà une œuvre grandiose et grandiloquente.

Il faut donc être un témoin privilégié de la maîtrise que François Ozon étale enfin. Prendre compte de l’intelligence de sa montée, de l’efficacité de la tension et du suspense, toujours bien souligné par l’élégante et correspondante trame sonore de Philippe Rombi, jusqu’à la magnificence du dernier plan, sorte de mise en scène synthèse qui ramène tous les thèmes traités depuis le début du film, la théâtralité est définitivement à son comble. Inutile d’en dire davantage, donc, Ozon pourrait bien avoir livré ici son chef-d’œuvre.

Dans la maison prend l’affiche en salles ce vendredi 19 avril.

Appréciation: ****½


Crédit photo: Les films Séville

Écrit par: Jim Chartrand

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