«Blue Jasmine» de Woody Allen – Bible urbaine

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«Blue Jasmine» de Woody Allen

«Blue Jasmine» de Woody Allen

La grande dépression

Publié le 4 septembre 2013 par Jim Chartrand

Crédit photo : Métropole Films

C'est la rentrée scolaire et déjà on parle des Oscars, et ce, quelques mois avant la cérémonie. Et c'est probablement à cause de Woody Allen, qui signe certainement avec Blue Jasmine («Jasmine French» en version française), l'une de ses œuvres les plus fortes en carrière, dominée par le jeu impérial d'une Cate Blanchett qui se surpasse plus que jamais.

Qu’on ait assisté ou non à des cours d’Histoire, il est difficile de faire abstraction de la période de la grande dépression qui a résulté d’un des crashs boursiers les plus importants de l’Amérique du Nord, exception faite de celle qui terrorise l’économie depuis quelques années. Si ce moment historique n’est applicable qu’à un seul endroit du globe, il est donc inutile de dire que cela a eu un impact et des répercussions sur pratiquement tout le restant du monde. C’est dans cette même lignée que le parcours de la protagoniste de Blue Jasmine se dirige, alors que cette femme de milliardaire se retrouve au fond du baril lorsque ce dernier devient victime de ses propres magouilles, chamboulant et entraînant avec elle tout son entourage. Si la comparaison semble ridicule au premier abord, elle s’applique grandement au personnage de la plus grande que nature Jasmine French, qui se prend définitivement pour un État à elle seule.

En bon maître des parenthèses, Woody Allen fait un bond dans sa filmographie pour livrer une nouvelle étude sur l’être humain et ses relations, mais avec un intérêt pointilleux concentré plus que jamais sur la profondeur d’un seul individu. Habituellement inspiré par le lieu qu’il choisit pour tourner, ici n’allez pas chercher l’exotisme de l’Espagne ou la nostalgie de Paris; on est plongé dans une Amérique qui se lance dans un combat acharné contre les luttes de classes dans un va-et-vient fascinant entre New York et San Francisco, tournoyant autour du destin tragique mais prévisible d’un personnage campé avec maestria par Cate Blanchett. Celle qui a incarné à la fois Bob Dylan, la reine Elizabeth, Galadriel et Katharine Hepburn au grand écran pourrait non seulement se retrouver en nomination aux Oscars, mais également obtenir le prix de la meilleure actrice pour un rôle en apparence beaucoup moins flamboyant. Il faut s’entendre pour déclarer que Woody Allen a créé ici l’un de ses rôles les plus exigeants.

Femme au bord de la crise de nerfs, c’est ici l’histoire d’une potiche qui a littéralement et métaphoriquement tout perdu. De ses valeurs matérielles à ses capacités intellectuelles, rien ne va plus. Pourtant, cachée sous les apparences et l’élégance, la dame s’empresse de tout nier et de tout cacher au fond d’elle-même, de peur d’être surprise dans ces instants de crise qui la forcent à affronter son passé et sa véritable personnalité aux dépens des autres, signes d’un burn-out évident. Prise dans un bas-fond, elle décide d’aller habiter pendant un temps chez sa sœur Ginger, fort différente d’elle, tentant à la fois de se retrouver, de se ressourcer et de forcer, en même temps, sa frangine à élever ses standards et ses attentes de vie.

A priori fort humoristique, avec un soin évident accordé aux détails, aux dialogues et aux situations, Woody Allen livre avec Blue Jasmine l’un de ses films les plus sombres en carrière. Sur fond léger, il tisse une fable d’une noirceur implacable qui étale en plein jour la détresse humaine dans ce qu’elle a de plus horrible. Il faut y voir la dévotion de l’excellente distribution où se bousculent autant Sally Hawkins, Louis C.K., Michael Stuhlbarg, Alec Baldwin et Bobby Cannavale, lesquels donnent vie à ce microcosme d’une société bien réelle, en opposition à une Blanchett dantesque qui interprète ici un rôle nuancé à l’ambiguïté remarquable.

Le cinéaste soigne avec subtilité sa mise en scène pour délaisser le moment présent à plus d’un moment afin de jouer habilement avec les contrastes à l’aide de flashbacks qui s’incrustent judicieusement dans les épisodes d’évasion de la protagoniste. Aidée d’une bande sonore toujours au diapason, la maîtrise de Woody Allen est ici exhibée autant devant que derrière la caméra. Il ne faut toutefois pas s’exciter trop vite: fidèle à lui-même, le réalisateur se contente d’observer sans juger. Dans Blue Jasmine, aucune solution, que ce soit comment remonter la pente, se sortir du gouffre, passer à travers les moments difficiles ou même survivre à la pauvreté n’est proposée. Certes, on peut, à l’instar du personnage de Ginger, décider d’ignorer les mauvais moments et de passer à autre chose, mais Woody Allen propose une autre alternative: tendre la main à ceux dans le besoin.

S’il n’est pas trop tôt pour déclarer que ce film commence les enchères pour les Oscars, il est peut-être trop rapide de clamer au chef-d’œuvre. Malgré tout, avouons sans mal qu’il s’agit ici d’un film admirable, témoin du génie unique d’un artiste à part entière qui, même s’il n’a plus besoin de faire ses preuves, ne cesse encore, après toutes ces années, de nous impressionner.

En tête du box-office québécois, Blue Jasmine est à l’affiche en salles depuis vendredi dernier. Le Cinéma Excentris le présente en exclusivité en version originale avec sous-titres français, l’idéal pour ceux qui ne maîtrisent pas bien leur anglais, mais qui veulent à tout prix ne rien perdre de l’époustouflante performance de Cate Blanchett!

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